Chapitre 12

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Michael se réveilla sous une lumière tamisée. La jeune vertu battit des paupières, se redressa, puis s’écroula sous l’effet du vertige. 

— Doucement jeune frère, ria une voix. 

Michael calma sa respiration, assommé par une terrible migraine. 

— Qu’est-ce que… où suis-je ?

— Dans notre vaisseau, mon frère.

Au-dessus d’el, Michael découvrit alors les visages de quatre de ses frères Fitzarch, de la chorale HodArch. Els étaient immédiatement reconnaissables à leurs halos mauves, aveuglants de la lumière du Grand Architecte en personne. Els revêtaient leurs uniformes de service, grandes robes mauves et oranges, représentant leur allégeance à Hod, mais aussi à la lignée du souverain des Cieux. Michael leva les yeux et constata qu’el se trouvait dans une infirmerie, équipée de nombreux lit-œufs. Une vague de soulagement apaisa la jeune vertu. Ses frères étaient venus à sa rescousse, par la grâce d’EL et de Sandalphon. 

— Comment te sens-tu ? 

Michael gémit, cotonneux, confus. 

— Eh bien, mon pauvre Michael, tes souffrances ne finiront-elles jamais ? déplora Naralia Fitzarch. 

— Nous t’avons tiré de la foule des barbares in-extremis, expliqua son frère Paloma.

— Tu es entré dans ta forme apocalyptique, dévoila Kaleena. Tu étais prêt à massacrer ces misérables, n’est-ce pas ? 

Michael soupira, dans un sourire contrit. 

— Ce ne sont pas des misérables, dit-el. Els ne me détestent pas moi, mais ce que je représente. 

— Tu es bien lucide pour quelqu’un qui marche dans le chaos depuis des mois, admira Larana Fitzarch. Quelle indignité…

Michael passa ses mains sur son visage. Des mois ? Vraiment ? Durant son voyage, el avait perdu la notion du temps. Tout ceci semblait avoir été un rêve. 

— Leur colère est légitime, argua Michael. 

— C’est aussi ce que pense Brenna, HodArch est en partance pour Guebourah. 

Michael se redressa brusquement, les cœurs battants. 

— Et Ennead ? demanda-t-el. 

— Pfeh, Raphaël n’a pas le droit d’y aller, fit Naralia. Ce serait désavouer son propre père. Et puis si Raphaël y va, tous les autres command’ailes du royaume qui ne se sont pas déjà portés volontaires seront humiliés. 

Michael secoua la tête.

— Non… non, el doit y aller. Ennead doit y aller. C’est notre devoir… 

— Tu veux y aller toi ? ria Kaleena. 

— Oui ! Évidemment ! clama Michael. 

— Tu n’a qu’à venir avec nous alors, proposa Naralia. Dès que nous aurons fait les rituels de croisade à la Chapelle, nous nous rendrons au célestoport. Brenna nous y attend. 

— Je ne peux pas, soupira Michael. J’appartiens à Ennead. Je ne peux pas les déserter…

— Après ce qu’els t’ont fait !? s’indigna Larana. Tu plaisantes ?! Reprends ta dignité et rejoins-nous !

— Attendez, avertit Paloma. Ce n’est pas si simple. On ne peut pas prendre une telle initiative sur un coup de tête. 

Michael acquiesça, puis se prit la tête entre les mains. Raphaël l’avait trahi, laissé tombé. Allait-el lui rendre la pareille ? 

— J’ai des comptes à régler, grogna alors Michael. 

Ses frères gloussèrent. 

— Eh bien, une fois que ça sera fait, si tu es toujours intéressé par Guebourah, tu pourras leur envoyer ta candidature en tant qu’éloha indépendant. Tu n’es pas obligé d’y aller en étant affilié à une chorale. 

— Ah ?

Michael chancela. Les quatre Fitzarch le laissèrent se reposer quelques heures, qui lui permirent de retrouver ses moyens, stabilisant son esprit. Après un court repos dans son lit-œuf, el se leva et observa le centre-ville de Kokab à travers le mur de l’infirmerie, qui grâce à la technologie des ophanim, affichait en direct le paysage extérieur. Une mer de lumière rouge coulait dans les avenues, embrasant les nids. La foule se dirigeait vers la Chapelle des vertus, où se réunissaient les plus grands command’ailes du royaume. Michael guetta une barge d’Ennead, et en repéra plusieurs. Ses cœurs se serrèrent sous l’anticipation, la peur. El refoula ses émotions. El ne pouvait laisser sa faiblesse le contrôler. Dans ce qui allait suivre, seul son esprit rationnel devait le guider. 

Quelques heures plus tard, Michael et ses frères Fitzarch bientôt arrivés à la Chapelle, se réunirent. 

— Veux-tu rencontrer les dignitaires de Guebourah ? proposèrent les Fitzarch à leur jeune frère. 

— Là ? Maintenant ?

— Oui. 

— Je ne peux pas… Pas avant avoir retrouvé Ennead. 

— Tu peux simplement les rencontrer, leur faire part de ton souhait. Ça ne t’engagera à rien. 

Michael hésita, un peu circonspect. Ses frères profitèrent de sa confusion pour l’entrainer dans le réseau EL. Els le guidèrent alors au Pavillon de Guerre, lieu entièrement virtuel, accessible à tous, où les élohim se réunissaient pour s’affecter à des chorales militantes. L’arrivée des nobl’ailes fut remarquée. Les halos des peupl’ailes lancèrent des acclamations lorsqu’els comprirent ce qu’els faisaient ici. 

— Des HodArch ! Els viennent avec nous à Guebourah ! 

— Qu’EL les bénisse ! 

— Que Sandalphon les élève !

Les Fitzarch se régalèrent de l’adoration du peupl’aile. Michael admira l’espace, virtuel et lumineux, nimbé du rouge de Guebourah. Les bannières des chorales guébouréènnes, qui accueilleraient les hodiens, étaient fièrement dressées, représentant boucliers et épées. Sous la foule, des rivières de sable du Gueb se mêlaient à celles de mercure de Hod, symbolisant la coopération entre les deux royaumes. Michael resta stupéfait, face à la beauté épique du lieu. Ses frères le conduisirent à un grand autel de lumière, où des milliers de halos étaient rassemblés. 

Là, une chorale nommée Géhenna accueillait les visiteurs. Les chants de ses élohim résonnaient dans tout le Pavillon, puissants et vibrants, emplissant l'espace virtuel d'une énergie guerrière. Michael sentit une bouffée d'adrénaline parcourir ses veines. L'aura rouge des guébouréens brillait intensément autour de l'autel, une lumière brutale, presque agressive, mais étrangement fascinante.

— Viens, approchons-nous, murmura Naralia avec un sourire en coin.

Michael hésita, toujours envahi par le doute. Son devoir envers Ennead le tiraillait, mais une part de lui brûlait d'une curiosité nouvelle, un désir d'action, de vengeance. Les chants, la ferveur des halos rassemblés, tout cela éveillait quelque chose de profond en lui, un écho de l'apocalypse qu'el avait frôlée plus tôt.

— Nous sommes là pour t’accompagner, dit Kaleena, posant une main rassurante sur son épaule. Rien ne t'oblige à te décider maintenant.

Mais chaque pas qu'el faisait vers l’autel alourdissait son cœur. Michael pouvait sentir les regards pesants de la foule, leurs attentes, leurs espoirs. El serra les poings. Il ne pouvait pas se laisser guider par l'enthousiasme de ses frères. El devait garder la tête froide. Mais une voix s’éleva depuis l'autel, brisant le cours de ses pensées.

— Michael Fitzarch, salua une domination à la silhouette imposante, drapé dans une armure scintillante aux reflets rougeoyants. Tu t’es enfin présenté.

Michael fronça les sourcils. Dans le halo de la domination, el découvrit son nom : Vilanel. 

— Nous attendions ta venue, continua Vilanel avec une lueur narquoise dans le regard. Les vents de la guerre soufflent fort, et tu as l’air prêt à répondre à leur appel.

Michael recula légèrement, déconcerté. El ne s'attendait pas à être accueilli aussi directement, et encore moins à être connu par un command’aile aussi influent.

— Je ne suis pas venu pour m'engager, déclara-t-el fermement, son regard cherchant à percer celui de Vilanel. Je dois encore clarifier ma position avec Ennead.

Un silence s’installa. Les halos des guébouréens scintillaient d'une intensité féroce, reflétant leur désaccord silencieux. Mais Vilanel éclata de rire, coupant la tension.

— Ah, Ennead, toujours à essayer de jouer sur tous les fronts, grogna-t-il en croisant les bras. Crois-tu vraiment que Raphaël saura te guider correctement dans cette guerre ? Ennead vacille, Michael, et tu le sais autant que nous. Ta place est ici, parmi ceux qui sont prêts à agir, pas à hésiter.

Michael sentit une vague de chaleur monter en lui, une colère sourde. Raphaël l’avait trahi, oui. Mais Vilanel n'avait aucun droit de parler ainsi de son maître. El se redressa, ses ailes frémissant sous la lumière du Pavillon.

— Je décide de ma place, Vilanel, répondit-el d’un ton tranchant. Pas toi, ni personne d’autre. Je dois d’abord retrouver Ennead. Je verrai comment els m’accueillent, quels sont leurs plans. Et en fonction de cela seulement, je déciderai. 



Vilanel se laissa tomber sur son fauteuil de cuir rouge. El poussa un soupir épuisé, étira ses bras nus, couverts de brûlures et grimaça.

— Aie, aie, aie...

Doucement, el les posa sur les accoudoirs rembourrés du siège. Le fauteuil, fait de velours rouge, se mit à grouiller d’un son dégoûtant. Des petites bosses mouvantes apparurent sous sa surface. Elles grossirent et pop ! pop ! pop ! finirent par éclater. Des sangsues en émergèrent alors. Vilanel sourit. Les petites créatures grimpèrent sur ses membres et mordirent sa peau blafarde pour sucer le sang doré de la domination. Un son gluant résonna dans la grande pièce vide et sombre.

— Ahhh...

Vilanel s'était installé dans un étage désaffecté d'un building de mercure et de verre, qui appartenait à une chorale de principautés. En permanence sous l'influence de psychotropes, ces derniers ne gardaient dans leurs locaux qu'une sécurité minimale. Tout un chacun pouvait donc s'inviter et passer quelques jours dans leur nid, surtout dans les étages qu'els n'avaient pas encore transformés en rave-party. Celui-là était totalement vide. Pas de meubles ni même de murs. Son accès au puits central du building était condamné et seuls quelques ascenseurs permettaient d'y accéder. 

Asmodée m’a donné de bonnes informations, pensa Vilanel.

Apaisée, la domination calma sa respiration. Une vertu vint passer sur son visage un gant de toilette bien frais. Puis el retira le capuchon de Vilanel, pour brosser ses cheveux noirs. 

— Voulez-vous que je vous coule un bain maître ? Je peux vous invoquer une baignoire en quelques secondes.

— Non merci. Je retrouverai le Sang d’Adam bien assez tôt.

À travers une baie vitrée, Vilanel plongea son regard sur l'avenue en contrebas. Michaël avançait, encore et toujours. El avait repris sa marche pénitente. 

— Vous êtes sûr ? On dirait que cette comédie n'en finira jamais, commenta la principauté. 

— Je m'en suis lassé il y a bien longtemps, soupira Vilanel.

Ses yeux se perdirent quelques secondes dans le vague. Ils suivirent les têtes enflammées des séraphins qui défilaient en bas, les mouvements des puissances et de leurs halos de métal. El sonda leurs lumières, leurs scintillements et variations. Son étude dura plusieurs minutes. Puis el se tourna vers sa gauche. Non loin, une autre principauté et un chérubin manipulaient un large cristal lumineux. 

— El se dirige vers Ostracol, chargez les flux dans cette direction, ordonna Vilanel. 

— Ostracol ? Ce n'est pas le chemin le plus direct vers la Chapelle...

— C'est un quartier séraphique, expliqua Vilanel, le QG d'une de leurs plus grandes chorales. Montseron espère y trouver un public plus soumis à son autorité. C'est aussi une bonne occasion de brosser l'évêque d’Ostra dans le sens des plumes.

À côté, le chérubin se mit à gémir.

— Maître, l’archange Raphaël a officiellement ordonné de couper les flux montrant Guebourah sur le passage du Fitzarch. Si on les pousse quand même, on risque de remonter à nous...

Les yeux de Vilanel s’allumèrent d’une lueur rouge, alors que son visage d’albâtre se figeait. El n'eut même pas besoin de prononcer le moindre mot. Les yeux ahuris, les deux élohim se remirent au travail sur leur gros cristal. À travers leur contrôle, Vilanel s’assura que les images de Guebourah s’affichent sans cesse sur les buildings de verre et de mercure. Le voyage du pénitent approchait sa conclusion et Vilanel s’assurait de faire tourner les évènements en sa faveur. À mesure que Michaël approchait de la chapelle des vertus, la domination vit ses prophéties se réaliser unes par unes.

Pour la première, aucune intervention ne fut nécessaire. Les membres d'Ennead multiplièrent leurs visites sur le chemin du pénitent, leurs émotions conflictuelles bouillonnant dans leurs corps et halos de métal. Els venaient sous leur forme apocalyptique, soucieuses de dominer la foule du peuple. Trop immatures, els ne surent exprimer que moqueries envers Michaël.

La deuxième prédiction n’eut besoin que d’un léger coup de pouce.  Le peupl’aile, malgré le déploiement de davantage de puissances, vint et revint à l’assaut des images de Guebourah. Leur colère s’étendit. Els étaient maintenant des millions à protester contre les nobl’ailes. Michaël, perçu comme un de ces souverains inaccessibles, se baladait pour la première fois parmi els. Els ne manqueraient pas l’occasion de faire valoir leur message. 

C’était du jamais vu. 

Au sommet de son sanctuaire de mercure, le prince héritier Raphaël vacillait. El n’osait pas faire arrêter les manifestants, ni faire intervenir l’Ecclésia. Cela ne ferait que nourrir la colère de la foule, ou créer des martyrs. Se rendre à Guebourah serait avouer la faute qui n’était pourtant pas sienne. C’était celle de l’archange-roi de Hod lui-même, Daniel, qui avait ordonné qu’on envoie des peupl’ailes et uniquement des peupl’ailes à Guebourah. Raphaël acceptait le blâme pour protéger son père, laissant les rumeurs se répandre. Là était le prix à payer pour conserver son statut d’héritier.

— Michaël est malin, je pense qu’el a déjà deviné tout cela…

Vilanel se retourna. Les sangsues qui émergeaient de son siège poussèrent des petits cris de protestation lorsque la domination bougea. Cette dernière se leva quand même. El fut pris d’un léger vertige et sourit. C’était bon signe. Son sang doré d’éloha avait été drainé, ne laissant place qu’au Sang d’Adam, bien rouge et épais. La domination s’immobilisa pour retrouver ses esprits. Le corps rongé par l’anémie, son teint était devenu encore plus blafard. Le Sang rouge d’Adam se mit à couler depuis les morsures qui parsemaient ses bras. Cela ne sembla pas le gêner. 

— Réabsorbe ça avant qu’ça finisse par terre, dit le visiteur. 

Vilanel se contenta d'observer le nouvel arrivé, une simple vertu, qui se dressait maintenant entre el et la baie vitrée.

— Nana… Tu n’aurais pas dû venir, râla Vilanel, qui congédia son personnel sans prononcer un seul mot.

— Et pourquoi pas ? sourit Nana, son visage de lutin malicieux tordu par un sourire carnassier.

— Je maîtrise le sujet, le terrain, le….problème…

— Tu “maîtrises” ?! Vraiment ?! Même après des mois de préparation, tu n’as pas réussi à convaincre Michael de nous rejoindre… 

Vilanel leva les yeux au ciel, agacé.

— T’as vraiment fait le trajet de Malkouth à ici pour me dire ça ?! grogna-t-el.

— Non, je viens juste t’aider.

— Je n’ai pas besoin d’aide. Je sais intervenir, je sais me cacher. Je sais réparer tes erreurs.

— Mes erreurs ? Quelles erreurs ?! Mon plan a fonctionné non ? Burrhus est mort !

— Et l’esprit de Michaël est en ruines, rappela Vilanel. 

— C’est ce qu’il nous faut ! El n’en sera que plus malléable. N’oublie pas que c’est Phosphoros qui nous intéresse. Le Fitzarch n’est qu’un contenant. 

— Un contenant qu’il nous faut préserver. Sans quoi nos efforts seront inutiles. 

— Cesse de te plaindre. Satanachia est de mon côté de toute façon. C’est à moi qu’el aurait dû confier cette mission.

C’en fut trop. Vilanel souffla par le nez. D’un seul coup, el attrapa la tête de Nana et le fit basculer en arrière. El le traîna jusqu’à l’ascenseur. Là, el le brandit et enfonça ses portes métalliques, se servant de son corps comme d’un bélier. Il ne fallut qu’un coup pour défoncer les portes de métal et plaquer le crâne de la vertu sur le miroir de l’ascenseur. Le sang de Nana, d’un rouge éclatant, gicla sur son reflet. Vilanel, tenant la vertu par le cou, l’enfonça encore et encore contre le miroir et ses bouts tranchants. Nana glapit. La domination avait beau le pousser, rien ne se passait. 

— Oh mince, finit par minauder faussement Vilanel. J’avais oublié que tu n’es pas de cet acabit, petite vertu. Tu devras utiliser tes ailes pour rentrer à la maison, comme tout le monde.

Nana, le crâne explosé, grimaça et grogna comme un démon enragé. Son regard devint rouge. Ouvrant grand la bouche, el déploya quatre immenses canines.

— Si tu veux te débarrasser de moi, tu devras user de ta voix, éructa-t-el.

— Non, non, fit Vilanel, il me faut juste appuyer là.

La domination pressa le bouton de l’ascenseur, lui ordonnant de descendre au rez-de-chaussée, des centaines de mètres plus bas. Malgré les dégâts, l’engin obéit. Nana disparut dans son gouffre. Vilanel recula, observa l’étage. Les deux élohim qui contrôlaient les panneaux étaient encore à l’œuvre, mais une petite alarme résonnait, indiquant l’arrivée très prochaine des puissances de la sécurité. Vilanel se prit la tête entre les mains en soupirant.

— Oh non… comme je suis bête des fois…

La domination se décala vers un autre ascenseur, dont el pressa encore et encore le bouton. Quand la cabine s’ouvrit enfin, el se précipita dedans et sauta dans le miroir, pour disparaître.

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